3 challenges à relever pour améliorer l’impact de ses projets de Recherche

Pour un Researcher, une des choses les plus compliquées est de s’assurer de l’impact que peuvent avoir les enseignements d’un projet de Recherche auprès de ses clients ou de ses parties prenantes en interne.

Roxane a passé tout sa carrière dans le domaine : d’abord en tant que consultante User Research, puis en freelance, et enfin en tant que co-fondatrice de Panash.

Pour nous, elle est revenue sur les compétences à développer, les process à mettre en place, et la meilleure façon de présenter ses insights pour maximiser l’impact de ses projets de Recherche.

Tactix : Pourquoi être passée d’une posture de Researcheuse à co-fondatrice d’une plateforme de montée en compétences des équipes Produit ?

Roxane : J’ai construit tout mon parcours de carrière autour de la Research : que ce soit en agence ou en freelance, j’ai fait de la Recherche au sein de grands groupes, de scale-ups et même de start-ups. Mon constat, ça a été que quelle que soit l’échelle, le “buy-in” des stakeholders est la clé, qu’il s’agisse de clients ou de collègues. Et il y a malheureusement aujourd’hui trop souvent un déficit d’engagement des parties prenantes et donc un delta énorme entre la restitution des résultats de nos projets de Recherche et la prise de décision effective.

Avec Panash, notre ambition justement c’est d’accompagner la montée en compétences des équipes Produit pour qu’elles soient plus performantes, et ça ça passe notamment par le fait d’aider les Researchers à avoir plus d’impact.

D’où vient selon toi ce manque récurrent d’impact en Research ?

Pour moi c’est même la principale difficulté que nous rencontrons en tant que Researchers, et j’y vois deux principales raisons.

La première, c’est que par essence, le temps pour mesurer l’impact en Recherche va être un temps long, beaucoup plus long que dans d’autres fonctions où l’on peut mesurer un résultat quasi immédiat. Typiquement, je fais à titre personnel beaucoup d’exploratoire sur les besoins et les attentes des cibles avant même qu’un produit n’existe. C’est capital : cela nous permet de savoir si l’on sort le produit ou non, les problèmes auxquels il répond… Donc entre le moment où je conduis cette phase de Recherche et le moment où le produit sort et où on peut commencer à mesurer les résultats, il peut se passer 6 mois, 1 an ou 2 ans.

La deuxième chose - et la plus importante selon moi - c’est qu’en tant que Researcher, ça peut être très compliqué de savoir comment tes équipes vont utiliser tes insights. Par conséquent, l’impact de tes enseignements n’est pas uniquement lié à toi, il est conditionné à la façon dont tes équipes vont les utiliser.

Pour résumer : ça prend du temps et c’est - en partie - hors de notre contrôle.

Ça ce sont les facteurs externes. Après, et je vais mettre le doigt où ça fait mal, le vrai sujet c’est qu’en tant que Researcher on a tendance à rester dans une zone de confort qui est ce que j’appelle la “zone d’agence” : le Researcher devient une machine à prendre des briefs et à délivrer des insights sans vraiment comprendre pourquoi, et surtout sans être associé au processus de décision.

Cela ne signifie pas que nous faisons mal notre métier : la plupart du temps, nous répondons bien aux questions de Research, mais nous restons dans cette dynamique où nous sommes aveugles sur l’impact. Pour moi c’est ça le grand challenge que nous rencontrons en tant que Researchers aujourd’hui.

Si tu es frustré de manquer d’impact en tant que User Researcher, c’est 100% de ta responsabilité !

C’est intéressant, cela signifie que c’est à nous en tant que Researchers de prendre ce sujet à bras-le-corps ?

Exactement. J’ai eu l’occasion d’en faire l’expérience lors de mes précédents vies de Researcher en entreprise.

Souvent, on a tendance à se cacher derrière un déficit d’“évangélisation de la Research”, mais je trouve que dire ça, c’est cruellement manquer d’empathie envers nos stakeholders. Si on a besoin de verbaliser la valeur que l’on apporte c’est qu’il y a un problème de posture sous-jacent. J’ai donc décidé d’en changer : je suis allée voir les gens avec qui je travaillais directement ou indirectement (le produit, le marketing, les sales…) non pas pour leur parler de Research, mais pour comprendre quelle est la décision qui les tient éveillés la nuit. Quelle est la chose qu’ils veulent apprendre pour progresser au quotidien ? Quel est l’enjeu principal qu’ils veulent dérisquer ?

Et ensuite, je leur expliquais comment moi en tant que Researcher je pouvais leur apporter des élément de réponse : faire ça, c’est placer la Research comme un outil d’aide à la prise de décision.

Les choses que l’on apprend doivent obligatoirement servir à l’action. Comprendre les enjeux business, c’est ça la clé.

Comment alors procéder pour donner plus d’impact à ses travaux de Recherche ?

Il y 3 challenges à relever. Le premier est lié au développement du panel de compétences du Reseacher. Le second relève du process de Recherche en lui-même. Enfin le dernier porte sur la communication à avoir auprès de son audience.

Le premier challenge c’est donc de développer les deux axes de compétences trop souvent négligés en Research : aller au-delà d’un statut de “producteur” pour également devenir un “facilitateur” et un “influenceur”.

Beaucoup de Researchers en France restent à cette strate de producteur. C’est le syndrome de l’agence que je décrivais plus tôt : ils auditent, ils collectent des données, ils les restituent, point. Ils sont d’ailleurs généralement de très bons producteurs d’insights mais derrière, ils n’assurent pas forcément le suivi jusqu’à la prise de décision. Selon moi, c’est de la responsabilité du Researcher de s’assurer que ces insights-là ont un impact direct sur la prise de décision, qu’il y a des actions qui vont être prises, qu’ils sont “prêts à l’emploi”. Faciliter la prise de décision, c’est la première compétence à développer.

Ensuite, c’est également notre rôle de faire en sorte de ne pas faire seulement un seul ricochet avec les insights mais qu’ils soient plutôt disponibles pour toute l’entreprise. Assurer cette visibilité des projets de recherche, partager la connaissance à tous, “scaler” la Recherche, c’est la casquette d’influenceur qui est la deuxième compétence à développer.

Tout d’abord, développer les “soft skills” liés au métier de Researcher, donc.

Tu mentionnais que le second challenge était lui plutôt lié au process de Research ?

Tout à fait. Toujours dans cette optique de se rapprocher de la prise de décision, il est nécessaire de repenser une partie du process de Research.

Ce qui manque cruellement aujourd’hui et qui fait que beaucoup de Researchers restent dans la “zone d’agence” c’est que leurs projets de Recherche ne sont pas correctement cadrés : qu’est-ce qui est important pour le business maintenant ? Comment prioriser les projets en fonction de ce qui est justement important ? Quelle est la décision principale à dérisquer ?

Une fois qu’on a cette compréhension du contexte, il est nécessaire de comprendre avec qui on va travailler : à qui sont destinés les insights ? Qui va nous apporter des inputs ? Qui dois-je garder engagé et proche de moi ?

Et enfin, comment communiquer efficacement auprès de cette audience : à quel rythme ? Sous quel format ? À quel rituel existant dois-je t’être associé ? Il est capital de sortir d’un état d’esprit “je livre mes insights quand j’ai fini” à “je nourris mes parties prenantes dès que je le peux”. Cela nous permet d’avoir un fonctionnement agile, même en Research. L’engagement, ce n’est pas juste donner le maximum lors de la restitution finale, c’est vraiment créer un rapport hyper fréquent pour rester au plus proche des problématiques business et donc in fine de la décision. Pour ça, une bonne piste peut être de commencer par “s’incruster” dans la comitologie existante, en commençant par celle du produit par exemple. Nous passons tous trop de temps en meeting, donc mettre en place une comitologie propre à la Research à court terme peut être compliqué. Mais réussir à faire partie des rituels des autres équipes, et les alimenter lors de chacun de leurs points, là pour le coup c’est un excellent moyen de montrer sa valeur rapidement.

Parfois, ne pas parler de Research mais simplement d’insights ou d’utilisateurs, ça fait du bien car cela parle à tout le monde : Marketing, Success, Customer Care,…

Maintenant que l’on a un pied dans la porte…
Comment communiquer efficacement auprès de son audience ?

C’est le 3ème challenge : réussir à sélectionner et “enrober” les insights que l’on va délivrer.

Ici, le constat sous-jacent c’est que trop souvent les livrables que nous créons ne déclenchent aucune action. Cela ne veut pas dire que nous n’avons rien appris, au contraire : nous avons une vision d’une population cible, d’un problème, on a réussi à mettre tout le monde d’accord… mais derrière, il n’y a pas de plan d’action concret. Et là, on est très loin de la prise de décision.

Passer à l’étape d’après, créer un sentiment d’urgence qui incite au passage à l’action, c’est ce que j’appelle passer d’enseignements en “2D” à des enseignements en “3D”.

Pour cela, un framework que j’aime bien utiliser c’est le framework “SAMI” :

  • Sélectionne les preuves en lien avec ton objectif. Il faut savoir que le cerveau humain ne retient que 10% de ce qu’il apprend : rien ne sert donc de servir une piscine de données à ses stakeholders, il faut aller chercher les 10% qui vont être captés et retenus.
  • Attaque ton audience avec un challenge. Que signifie vraiment cet insight pour l’équipe en question ? à quoi doit-elle être particulièrement vigilante ?
  • Émeus ton audience avec des histoires. Qu’est-ce qui fait qu’on retient une histoire ? C’est qu’elle a généré en nous des émotions : on a été émus, frustrés, on s’y est reconnus… et donc on s’en souvient. Il est capital de faire ce travail de storytelling dans la restitution si l’on veut que nos insights marquent les esprits.
  • Impressionne autrement que par l’écrit. Aujourd’hui dans une entreprise 90% des choses qui sont faites passent par l’écrit. Pour autant il y a tellement d’autres manières plus originales et donc plus marquantes de faire passer des messages au gens : l’expérientiel avec l’animation, le visuel avec la vidéo, le sonore avec les enregistrements,…
Personne n’apprend pour apprendre. Il y a toujours un impact business derrière.

Tu aurais un exemple à nous partager ?

Bien sûr ! C’est purement illustratif mais récemment j’ai donné comme challenge à une équipe que j’accompagnais de suivre cette méthodologie sur un de leurs projets : ils avaient une après-midi pour sélectionner les 2-3 principaux enseignements d’un case study, et de raconter le challenge lié sous forme d’histoire, sans utiliser aucune slide ! Ils ont fait un truc incroyable : une sorte de jeux de rôles auquel ils ont fait participer leur Lead Product. Après y avoir pris part, il était capable de ressortir toute l’histoire et surtout les principaux insights.

Cette manière de restituer a créé un sentiment d’urgence et a apporté de la clarté sur les challenges utilisateurs, les challenges business, et donc les actions à mener en priorité pour attaquer ces challenges.

Et tout ça ça nous a pris 2 heures. C’est quoi 2 heures si c’est l’assurance que l’on va tirer le maximum des résultats d’une semaine d’analyse ?

Au regard de tes différentes expériences ...
Comment vois-tu la Recherche évoluer ? Quel conseil donnerais-tu à un jeune Researcher se lançant ?

Ce qui est intéressant avec la période que nous vivons, c’est que nous avons passé l’étape de la Research “à la mode” : les équipes se structurent, la Recherche se rapproche de la prise de décision. Donc je suis plutôt confiante avec la façon dont évoluent les choses.

Mon conseil pour un jeune Researcher, ce serait de centrer sa pratique de la Research autour de la prise de décision. Ça, ça passe par le fait d’être proactif, d’aller voir les décisionnaires pour comprendre les enjeux de l’entreprise, les problèmes qu’ils souhaitent régler. Ce serait faire de la Research auprès de ses propres stakeholders en fait.

C’est tout bête, mais chaque Researcher devrait être très au clair sur les grands objectifs trimestriels de l’entreprise et la manière dont ces objectifs se traduisent pour les équipes Produit avec qui il collabore au quotidien.

Tout est une question de posture : il faut être curieux soi-même de savoir comment fonctionne l’entreprise, avant d’être curieux envers ses utilisateurs; et construire sa pratique autour de ça. Faire ça, c’est l’assurance d’être plus utile à ses parties prenantes et de développer un discours qui parle à son leadership.

Derrière, ils penseront beaucoup plus facilement à la Research quand ils auront une interrogation !

Je n’aime pas le terme de “Solo Researcher” : il donne l’impression que le Researcher est seul contre tous. En réalité il doit être tout autant impliqué dans le processus de décision que n’importe quel autre service.

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