Comment l’IA va révolutionner la Research : impact... et limites

Tactix : Ton objectif, c’est de diffuser l’UX et la Research dans les entreprises. Comment t’y prends-tu ?

Antoine : Cela fait 10 ans que je travaille dans le monde de l’UX, aussi bien en tant que consultant qu’en freelance, et que j’enseigne en parallèle la discipline aux Gobelins. Mon constat c’est que l’une des raisons qui fait que notre impact est encore trop limité, c’est que notre travail reste encore relativement manuel sur certains aspects. Cette “création de connaissances” qu’est la Research repose sur des activités très intensives en capital humain : collecter des données, les synthétiser, les partager…

Pour pouvoir diffuser cette connaissance à toute l’entreprise - car c’est notre ambition - il faut être capable de faire passer sa Research “à l’échelle”, et ça c’est difficilement possible dans le fonctionnement actuel.

L'arrivée de la generative AI a fait beaucoup de bruit dans le monde de la tech et de la Research. À juste titre selon toi ?

Totalement ! Pour moi il s’agit d’une véritable innovation, que j’opposerais à une “simple” invention.

La différence, c’est qu’une innovation a réussi à passer à l’échelle, à se démocratiser, là où une invention garde une position “niche” : elle reste la chasse gardée de quelques initiés. Pour décrire une innovation de rupture on utilise souvent le terme d’”uberisation” en référence à la société de VTC. Pourtant Uber à la base, c’est juste un service de géolocalisation de taxis, et la géolocalisation existait bien avant Uber. Mais Uber, en en démocratisant l’usage, a fait passer cette invention dans une autre dimension : celle de l’innovation.

L’IA générative, ou generative AI, c’est pareil. En soi, l’intelligence artificielle existe depuis très longtemps mais l’arrivée des transformers a permis de rendre beaucoup plus rapide le traitement de données, et ça a donc par capillarité largement augmenté la qualité de la génération de textes par IA. ChatGPT en est ensuite la transposition “grand public” : c’est gratuit, c’est simple à prendre en main… en résumé ça permet de rendre l’IA accessible à tous !

Pour désigner ce changement, j’aime bien utiliser le terme de “moment iPhone” ou “moment Google”. Les smartphones existaient avant l’iPhone, et internet existant avant Google, mais ces deux innovations de rupture ont permis la diffusion de ces inventions au plus grand nombre.

Avec l'IA générative, on a rendu simple et accessible un changement technologique majeur !

L’arrivée de la generative AI est une révolution, au même titre que Google ou iPhone. Cela va changer nos usages de manière très large.

En quoi l’IA peut-elle justement aider les Researchers à passer “à l’échelle” ?

L’IA est un formidable outil pour les Researchers sur 3 points : l’accessibilité à tous, le traitement de volumes importants de données et la suggestion d’enseignements.

L’accessibilité tout d’abord. Aujourd’hui en tant que Researchers nous disposons de beaucoup d’outils faits par des experts pour des experts, et donc très difficiles à appréhender pour des non initiés. C’est notamment problématique quand on souhaite diffuser la Research à nos stakeholders. On le voit avec certains repositories par exemple, qui ont tendance à décourager des curieux de s’intéresser à la Research tant leur niveau de complexité est grand. L’IA, par sa capacité à traiter des requêtes complexes, à l’aide de prompts, rend la Research accessible à tous : Marketing, Product, Customer Care… tout le monde peut la prendre en main et avoir accès à la Research.

Ensuite, qui dit recherche dit données, et l'IA rend justement possible le traitement à l'échelle de gros volumes de données, ce qui représente un gain de temps considérable et donc la possibilité de faire, in fine, plus de recherche. Une IA bien entraînée et bien parametrée nous permettra donc de naviguer et de générer des points clés rapidement dans la masse d'informations que nous collectons.

Cela me permet justement de faire la transition avec mon troisième point qui est la suggestion de pistes d’analyse. Au-delà de la pure organisation de données, l’intelligence artificielle intervient comme un “cerveau en plus” dans l’analyse. Je suis précautionneux sur ce point, car c’est aussi là qu’on voit très vite les limites de l’IA !

Justement, quelles sont les limites de l’IA dans la Research ?

Soyons clairs : l’IA reste un outil, elle ne gouvernera pas le travail de Research.

L’IA va faire gagner énormément de temps aux Researchers, dans le sens où les choses évidentes vont ressortir plus vite, mais elle ne remplacera pas - en tout cas pas à court ou moyen terme - la finesse d’analyse et la capacité de projection dont est capable de faire preuve un Researcher.

Avoir cette conception serait même dangereux. J’avais lu une étude assez amusante sur la détection de cancer par intelligence artificielle. L’IA avait associé la détection d’un cancer à la présence d’un doigt sur la radio, car généralement les médecins désignaient la tumeur avec leur doigt. On voit vite le type de biais que cela peut créer ! Ça un cancérologue le voit directement et ne commettrait jamais cette erreur. Au-delà de ce cas, il suffit de jouer un peu avec ChatGPT pour en voir les limites et les énormités qu’il est capable de nous sortir.

Dans notre métier, il y a deux choses qui sont intéressantes. Tout d’abord les “évidences”, c’est à dire les hypothèses confirmées. Et ensuite il y a les “pépites” : les choses plus surprenantes, les signaux faibles, les éléments que nous n’attendions pas, orthogonaux à nos hypothèses mais qui sont extrêmement riches. L’IA va nous permettre d’aller très vite sur le premier point, les évidences. En revanche, l’IA va avoir beaucoup de mal à “découvrir” des choses, tout simplement parce qu’elle est a priori incapable de savoir ce qui est “nouveau”, “pertinent” ou d’expliquer le “pourquoi”. Cette agilité, cette flexibilité de l’esprit est propre au Researcher, et elle protège notre métier d’une certaine manière.

Pour résumer, tout est une question d’équilibre. Il est illusoire et même dangereux de croire que l’IA peut mener des travaux de Research en autonomie, mais la combinaison d’expertise humaine et d’outillage en intelligence artificielle nous permet d’aller vraiment plus loin.

L’IA ne remplacera jamais un Researcher, mais un Researcher utilisant l’IA aura un sacré avantage par rapport à un Researcher qui ne l’utilise pas !

La manipulation des données nous protège en tant que Researchers : une IA n’est pas capable de sortir d’un cadre prédéfini.

Comment alors, en tant que Researchers, bien utiliser l’IA dans nos travaux ?

La première chose, c’est de bien avoir en tête les qualités humaines des Researchers qui sont irremplaçables par IA, notamment notre empathie ou notre capacité d’écoute. Il faut avoir conscience que sur ces points l’humain est meilleur non seulement en termes de finesse d’analyse mais également en rapidité d’exécution. De nombreuses tentatives ont été menées sur de l’analyse de pulsation cardiaques, d’intonation de la voix, de micro-expressions… mais un humain entraîné est toujours plus rapide et performant qu’une machine sur ces sujets-là.

Une fois qu’on a compris ça et qu’on positionne bien l’IA comme un outil, il est nécessaire de comprendre que la valeur d’une IA va dépendre de la qualité du corpus, de ce qu’on lui “donne à manger”. Une IA est performante si on est sûrs des données entrantes. Je pense que c’est une des grandes forces des solutions spécialisées en Research comme Synopsis ou Tactix : nous gardons le contrôle sur la qualité des données qui alimentent l’IA, ce qui permet de former l’IA à un “mindset” de Research. C’est d’ailleurs pour ça aussi qu'il y a autant d’entreprises qui vont se créer sur l'IA : l’IA n’a vraiment d’intérêt que si on arrive à la combiner avec une expertise. En spécialisant l’apprentissage de l’IA sur un métier donné, on lui permet d’aller plus loin que les réponses génériques.

Enfin le dernier point porte sur la vérification des réponses générées par IA. Comme je le disais précédemment, une IA n’est pas capable de faire la différence entre ce qui est vraiment pertinent et ce qui ne l’est pas, tout comme elle n’est pas capable de se tenir au courant des dernières priorités de l’entreprise. Ces informations ne répondent à aucune règle et sont impossibles à encoder : il faudra donc toujours une intervention humaine.

Les mondes de la Research et de l’IA bougent vite en ce moment, comment te tiens-tu au courant des dernières tendances ?

Personnellement, j’aime beaucoup assister à des meet-ups, notamment ceux de French Designers Society ou Hexagon Paris ! Je partage aussi régulièrement des articles sur mon site antoinepeze.com, où le contenu de mes cours est aussi accessible librement.

Après, je pense que c’est à chacun de se saisir du sujet : l’IA ne va pas venir “casser” notre métier du jour au lendemain, c’est quelque chose avec lequel il faut construire. Pour cela, l’idéal c’est de commencer petit, de tester certains outils sur un périmètre réduit et de se les approprier. Je pense que dans le futur nous aurons des Researchers sous perfusion d’IA, qui seront des Iron Man de l’IA et ce sera super, mais ça va se faire petit à petit.

L’IA ce n’est pas magique : croire qu’une techno va nous permettre de trouver des résultats fiables directement, ce n’est pas vrai.

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