Comment mettre en place une culture de la Discovery

Tactix : Passer du monde des analytics en agence (NDLR : chez Publicis Sapient & Havas Play) à celui de la Research en interne dans une start-up tech, c’est un gros changement ?

Lise : Effectivement à la base je n’ai pas du tout un profil Design, plutôt Recherche orientée mathématiques !

Mon background, c’est la Recherche “académique” : une Recherche assez stricte, qui n’est selon moi pas vraiment adaptée au monde business car les process sont très longs et n’ont pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter à une roadmap Produit par exemple.

C’est quand j’ai rejoint Younited que j’ai vraiment découvert le monde de la Research tel que nous en parlons aujourd’hui. Quand je suis arrivée - et c’est ce qui m’a séduite dans le projet - tout était à créer en termes de process. Historiquement, nous étions une entreprise très orientée Delivery et la Research avait globalement du mal à faire sa place. Ma mission était donc de structurer l’expertise Research, et de lui donner une voix au sein de l’organisation et surtout du Produit qui est notre principal stakeholder.

En Research, il faut savoir réduire ses attentes en termes de “pureté” méthodologique : il y a un juste milieu à trouver pour avoir des enseignements actionnables sans pour autant se lancer dans des projets qui vont durer des mois.

Lors de notre première rencontre, tu avais dit : “Mon but ultime chez Younited : que tout le monde s’empare de la Discovery”

Pourquoi ?

Pour deux raisons.

La première, c’est que j’estime que c’est tout simplement de la responsabilité de tous nos stakeholders de connaître l’audience et le marché que nous souhaitons adresser. En tant que Researchers, on a ce biais d’être les experts de nos méthodologies et donc d’être réticents dans un premier temps à déléguer certains projets et à transmettre notre expertise. Je pense qu’il faut se défaire de ce mode de fonctionnement et de cette notion de “territorialité” de la Research. Moi c’est que j’ai fait et aujourd’hui une partie de mon travail consiste à autonomiser au maximum mes stakeholders : j’a créé des toolbox, de la documentation … je me suis même filmée en train d’utiliser des outils pour faire des tutoriels !  Maintenant, quand un PM vient me voir avec une interrogation, je peux lui donner accès aux bons outils et relire son protocole afin qu’il se lance sereinement dans son projet… mais ça reste lui l’owner du sujet.

La deuxième raison, et c’est la plus importante, c’est que cet ownership partagé de la Discovery c’est la clé pour nous en tant que Researchers si nous ne voulons pas être cantonnés à des requêtes ponctuelles de nos stakeholders et pouvoir nous concentrer sur des projets transverses, plus stratégiques et à plus forte valeur ajoutée.

Faire de la Discovery fait partie du rôle de PM : même si ça n’est pas toujours le cas aujourd’hui et même s’ils ne savent pas forcément par où commencer, ce qui est normal, il faut que le message passe.

La culture Delivery peut être un héritage assez lourd... Comment as-tu procédé pour opérer ce changement ?

C’est clair !  On peut être dans une organisation très innovante mais avec une Research très traditionnelle, où nous sommes positionnés comme une mini boite de conseil : personne ne sait vraiment ce qu’on fait, les gens soumettent un ticket et attendent de voir ce qui va en sortir… C’est très problématique car on peut vite se retrouver marginalisés.

La première chose à faire est donc de se faire connaître : moi j’avais lancé une newsletter récapitulant les projets en cours et les objectifs du mois suivant, j’ai organisé aussi en parallèle des évènements avec toute la boîte.

La Research est d’un coup devenue “connue” dans l’entreprise et on a reçu une avalanche de demandes… sans forcément de cohérence globale ! C’est pour moi le second écueil : perdre de vue l’impact que nous devons avoir en tant que Researchers et se laisser aspirer par des micro-sujets ponctuels ou non-stratégiques, qui peuvent vraiment plomber notre roadmap.

Pour éviter ça, il faut que les sujets de Discovery soient planifiés et priorisés, au même titre que les sujets de Delivery. Cela demande un petit travail de préparation, car si des tests sont concomitants d’une phase de Delivery, la Discovery doit être anticipée et planifiée un ou deux releases plus tôt par exemple.

Pour ça, ce qui a changé la donne dans mon cas c’est vraiment l’interpersonnel, la faculté à trouver des “sponsors” internes pour la Research : il s’agit de profils qui vont m’aider à comprendre quels sont les projets dans leurs équipes qui ont le plus de valeur. Ce n’est pas forcément intuitif, il faut savoir être un caméléon et se mettre à leur place ! Personnellement, ma stratégie a été d’aller voir les différents “Head Of” pour mieux comprendre leurs enjeux en échangeant de manière informelle avec eux. Mon conseil là dessus c’est de commencer par ceux qui vont avoir une écoute “naturelle“ pour notre métier et nous faire confiance dès le départ. Faire un premier projet pour ces personnes-là peut servir de vitrine pour la suite…

Il faut non seulement avoir accès à la roadmap produit, mais aussi et surtout à sa planification. Finaliser un projet et entendre “c’est trop tard, il nous fallait ces résultats il y a 3 jours”, ce n’est pas possible.

La première étape c’est donc d’autonomiser les équipes Produit afin de libérer de la bande passante pour l’équipe Research. C’est bien ça ?

Effectivement. Sur ce point, il faut savoir différencier ce qui est déléguable et ce qui ne l’est pas, afin de s’assurer que la Research reste faite dans le bon cadre. Mon équilibre c’est le suivant : je forme mes stakeholders aux méthodologies faciles à appréhender, et je n’interviens qu’en validation du protocole de Recherche pour apporter une sorte de “tampon” final. Je garde également la main sur les outils utilisés ainsi que sur les sujets de Research plus complexes ou plus longs.

Pour te donner un exemple, je délègue assez facilement les sujets quanti, UX analytics, les tunnels de conversion, les taux de clics… Nous avons de très bons outils sur lesquels on peut très rapidement se former, et je mets à la disposition de mes stakeholders des templates d’études.

Après, au delà de ça, il y a cette deuxième catégorie de projets gérés purement par la Research, comme celui que nous réalisons sur Tactix : il s’agit des projets plus complexes, moins procéssés, mais à plus forte valeur stratégique !

Notre vision, c’est que nous ne devons pas passer plus de 20% de notre temps sur des projets adhoc faisant appel à des process déjà documentés et donc pilotables de manière autonome par nos stakeholders. 50% de notre temps doit être consacré aux projets stratégiques, et 30% à l’évangélisation (créer de la documentation, des trainings,…)

Le second point que tu mentionnes dans ton approche, c’est l’importance du “sponsorship” en interne. Comment l’obtenir ?

Il y a deux messages à faire passer.

Le premier, c’est que la Discovery ne va pas forcément mettre à mal la roadmap. Au contraire, ça va nous permettre de prioriser nos sujets et de nous concentrer uniquement sur ceux qui nécessitent une expertise spécifique de Research donc in fine respecter les objectifs de notre roadmap. C’est très important d’être clair sur cet alignement.

Le second, c’est que la Research est un excellent moyen d’atteindre l’objectif qu’ont toutes les entreprises tech en ce moment : la rentabilité. Concrètement, avec la Research on va éviter de “cramer” des ressources sur des projets qui ne rapportent rien, et on va dérisquer les autres projets. Toutes ces ressources économisées pourront être consacrées à des projets générant plus de revenus pour l’entreprise. J’insiste sur ce point car souvent dans les métiers qui touchent au Design ou à la Research on est un peu considérés comme des artistes, mais avec ce raisonnement on peut convaincre même les plus sceptiques !

Le nerf de la guerre quand on est User Researcher : comprendre comment l’entreprise prend des décisions

Je pense que quel que soit le niveau, un Researcher doit être capable de comprendre quelles sont les priorités de l’entreprise et voir comment ses projets permettent de les atteindre. Si on arrive à dire “voici comment nous en tant que Researchers nous aidons à atteindre les objectifs globaux de l’entreprise“ là on voit directement l’intérêt et l’impact.

Au début, il ne faut pas compter sur le fait que parce que nous considérons que notre métier est capital, les gens vont forcément être d’accord. Personne ne va être convaincu à notre place de la valeur ajoutée de notre travail, c’est à nous de la vendre !

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