Qu’est-ce que la sémiotique et pourquoi est-ce crucial pour les Researchers ?

Tactix : Vous êtes le cofondateur de l’agence de Recherche qualitative Consumer Islands. Qu’est-ce qui fait la spécificité de votre approche ?

Christophe : Je suis sémioticien de formation, et j’ai découvert l’univers des études qualitatives via ce prisme, en faisant de la sémiotique auprès de grands instituts comme IPSOS par exemple. À partir de là, la sémiotique m’a accompagné tout au long de ma carrière et c’est ce qui aujourd’hui enrichit et consolide notre approche chez Consumer Islands : nous étudions la relation entre le signe et le consommateur, c’est-à-dire la personne qui va interpréter le signe.

L’intérêt de la sémiotique dans le domaine de la Recherche, c’est que les interprétations d’un même signe ne sont pas figées dans le temps, elles vont même énormément varier en fonction du contexte. Ceci est dû au fait que l’esprit humain est porteur de normes culturelles, d’habitudes d’interprétations, de référents qui font que la signification que l’on va donner aux choses va beaucoup varier d’un contexte à l’autre. Cela va être bien sûr vrai à l’échelle internationale parce que les contextes culturels sont très différents, mais c’est également vrai à plus petite échelle, au sein d’un même pays auprès de différentes communautés de consommateurs par exemple.

Avec la sémiotique, nous assurons l’adéquation entre l’intention de communication des marques et le message effectivement perçu par le consommateur.

Pour nous en tant qu’agence, les cas d’usage sont multiples : tester des packagings, une signature de marque, des éléments de communication, des logos, des éléments de design,… et aussi des espaces : des magasins, des concessionnaires, des boutiques…

Vous dites qu’un signe n’est pas figé dans le temps, qu’il va dépendre d’un contexte, d’une cible, d’une culture.
Auriez-vous un exemple d’un cas critique de la sémiotique où sur un signe unique vous avez eu affaire à deux imaginaires différents ?

Prenons les couleurs. Dans les cultures occidentales, le rouge va être un signe très polysémique : la passion, l’énergie, le mouvement. Dans les cultures asiatiques en revanche, le rouge c’est la couleur du mariage, elle est davantage normée, conventionnelle et va être associée à des évènements plus spécifiques qui n’auront pas la même signification.

Je me souviens avoir réalisé des études sur des fragrances dans de multiples pays. Aux Etats-Unis tout le monde voyait un imaginaire du chocolat, sucré, alors qu’à l’Est dans les cultures asiatiques la perception de cette odeur était totalement différente, et renvoyait vers des représentations fruitées.

Le signe prend donc vie de manière différente selon les cultures, mais aussi selon les époques. C’est pour ça qu’en sémiotique on étudie aussi tout ce qui est de l’ordre de l’obsolescence des formes où l’on peut constater le phénomène de vieillissement d’un logo ou d’une typographie par exemple.

En quoi la sémiotique cognitive peut-elle être un différenciant pour les Researchers ?

La sémiotique est à la fois une plus-value scientifique dans le sens où elle apporte une vraie profondeur d’analyse en révélant les structures et mécanismes internes des systèmes de signes que nous analysons, mais c’est également un “argument de vente” en quelque sorte.

Elle n’a pas vocation à se substituer à l’analyse qualitative : au contraire, c’est vraiment un complément. Elle aide à comprendre les processus d’accès au sens d’un point de vue rationnel, symbolique, émotionnel.

En parallèle, elle séduit beaucoup les clients dans la mesure où elle rend le quali plus robuste, puissant et qu’elle permet d’obtenir des recommandations opérationnelles plus pertinentes.

L’analyse sémiotique en tant que telle est au cœur du réacteur de nos méthodes : la sémio n’est pas la pour savoir ce que les gens pensent mais comment les gens pensent.

Comment intégrer la sémiotique à ses projets de Recherche ?

Il faut l’intégrer dès le début, en phase d’exploration.

La sémiotique permet de comprendre, décoder les imaginaires et les représentations des consommateurs. Accéder à leurs imaginaires, c’est comprendre comment ils se représentent le monde et les représentations induites d’un concept par exemple. Cela nous permet d’avoir une sorte de cartographie de l’univers que l’on investigue.

Et ensuite en faisant revenir ces consommateurs en groupe ou en les interviewant à partir de ces imaginaires, on peut reconstruire les représentations produits associées à un concept donné.

En procédant de la sorte, on met à jour des axes de développement à fois “produit” (en comprenant ce qui plaît et ce qui ne plaît pas) mais également un modèle plus large de pilotage des innovations d’une catégorie donnée, fondé sur la sémiotique. Ce modèle permet de savoir où on en est, où se positionner, ce que cela va impliquer pour une catégorie donnée, quel imaginaire cela va déclencher, les bénéfices attendus, les motivations sous-jacentes…

Comment voyez-vous l’évolution de la Recherche qualitative sur les prochaines années ?

Je pense que nous vivons une époque très intéressante pour la Recherche !

D’une part, nous avons des avancées technologiques majeures avec la Data et l’IA et de nouveaux outils comme Tactix.

D’autre part, nous évoluons dans un monde qui bouge beaucoup et qui est très fragmenté. Les crises sanitaires, climatiques, géopolitiques, ont énormément affecté les consommateurs, leurs comportements, leurs usages, leurs émotions et leurs représentations. Tout cela rend davantage difficile la réalisation et la fiabilité des études qu’elles soient qualitatives et quantitatives, mais je perçois cela comme de superbes opportunités ! Ce bouleversement des imaginaires de marques, c’est l’occasion de redéfinir les marchés, les communications et les positionnements en intégrant les nouvelles façons d’interpréter et donner du sens aux choses qui nous entourent.

Pareil pour le développement des nouvelles technologies : j’adore ça ! Je considère l’IA en l’occurrence comme un outil qui nous permet de gagner du temps à certaines étapes de l’analyse traditionnelle qualitative où l’on dépensait auparavant beaucoup d’énergie à des tâches de classification, de catégorisation, et de synthèse. Je pense que cela peut aussi nous aider à travailler sur des volumes de données plus importants, ce qui va apporter plus de “robustesse” au quali : on va vers un renforcement de la validité, de la fiabilité du résultat.

In fine, cela nous permet de consacrer plus de temps à mettre nos compétences d’analyse au service des problématiques de nos clients.

On commence à utiliser l’IA depuis peu : cela nous fait gagner énormément de temps et d’ ”énergie mentale”.

Il y a deux choses cependant auxquelles nous devrons faire particulièrement attention.

La première, c’est la qualité du recueil des données, capital avant de songer à faire intervenir l’IA. La seconde, c’est le côté “consulting” de notre métier dans le sens où nous ne sommes pas là juste pour mener une étude, mais également pour participer à des stratégies, aider à orienter, à prendre des décisions. Et donc avoir des recommandations stratégiques plus puissantes et plus pertinentes.

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