Marion : Effectivement, la Research est un peu le dénominateur commun de mes expériences professionnelles. C’est assez rare pour être souligné ! J’ai toujours eu le prisme de la Research dans mes expériences professionnelles, même si la façon de faire et les problématiques étaient un peu différentes à chaque fois.
J’ai d’abord travaillé dans des petites structures, ce qui m’a permis de mettre la main à la pâte et de me frotter à des entretiens ou à des focus groups très rapidement. Puis j’ai rejoins Axance, agence spécialisée dans l’UX Design et la Research, qui était à l’époque pionnière sur le sujet. J’ai eu l’occasion de travailler avec des gros clients américains, pour qui la Research était primordiale et qui y octroyaient donc des budgets conséquents. J’y ai découvert de nouvelles méthodologies de Research plus exploratoires et très intéressantes à mettre en place, comme le journal de bord sur Tactix.
Ensuite je suis partie “chez l’annonceur” (NDLR : chez BlaBlaCar) quand j’ai eu envie d’avoir plus de continuité dans mes projets de Research, d’en constater l’impact sur un temps plus long qu’une mission ponctuelle.
Je suis la première Researcheuse à proprement parler, mais Shine a un fort ADN Research, impulsé par les fondateurs depuis le départ. Je suis donc passée d’un modèle très “centralisé”, où la Research était conduite par les Researchers, à un modèle beaucoup plus décentralisé, où la Research est conduite par un certain nombre de stakeholders.
J’ai bien évidemment toujours dans mon rôle une partie de conduite de projets de Research - et j’y suis d’ailleurs très attachée ! - mais cette évolution m’a fait découvrir une autre facette du job de Lead User Researcher : structurer la Research, m’assurer que tout est bien fait, que les méthodologies sont respectées, développer du contenu de formation,…
Je trouve ça intéressant que les postes de Research prennent cette tournure là : cela nous permet d’évangéliser, de démocratiser la Research dans le bon sens du terme. Pour te donner un exemple, chez Shine nous sommes en train de réfléchir à du contenu, comme des formations en Research, qui pourrait faire partie de l’onboarding des futurs Product Managers à leur arrivée.
La première chose à faire, et c’est vraiment extrêmement important, c’est de se faire connaître en réalisant des entretiens internes notamment avec toutes les équipes “user/customer facing” pour comprendre comment elles collectent aujourd’hui du feedback, et comment elles perçoivent la Research.
Cela implique le Produit bien entendu, mais aussi le Marketing, le Growth, le Customer Care…
Cela permet également de faire un état des lieux de la façon dont est faite la Research aujourd’hui, de ce qui fonctionne bien et moins bien, et de là où les besoins sont les plus forts. J’en suis ressortie avec une sorte de feuille de route sur mes premiers mois me permettant de construire une stratégie pour maximiser mon impact : les sujets de Research prioritaires, la mise en place des Research Ops,…
Personnellement, j’ai passé mes deux premières semaines à prendre des cafés avec tout le monde pour expliquer quelles allaient être mes missions !
J’insiste sur ce point car c’est très important d’être visible par d’autres équipes que le Produit : de mon côté j’ai mis en place un channel slack pour le partage d’insights, une newsletter pour tenir l’organisation au courant des projets sur le quarter passé,… c’est vraiment les bases de l’évangélisation.
D’ailleurs je pense qu’il ne faut pas négliger la partie ResearchOps, même quand on est une petite équipe, car son rôle dans le scaling est important. C’est toujours difficile car ça n’est jamais prioritaire ou urgent par rapport à d’autres sujets de Research, pourtant c’est ça qui permettra d’industrialiser et de processer la Research. Moi je balise un jour par semaine sur ce sujet : je fais des guides, je benchmarke des outils qui nous feront gagner du temps,…
Tout à fait. Chez nous, nous revoyons notre roadmap à la fin de chaque quarter. C’est l’occasion de voir quels projets de Research peuvent être menés sur le quarter suivant au regard des objectifs globaux de l’entreprise qui ont été fixés en début d’année. Ce qui est intéressant, c’est qu’on se rend compte que pour atteindre ces objectifs il y a non seulement de la Research à faire côté Produit, mais également côté Marketing, sur de l’acquisition de nouvelles audiences dans de nouveaux secteurs d’activité par exemple.
Bien sûr, le Produit reste le stakeholder principal, et il ne faut en aucun cas “sacrifier” des projets de Research liés au Produit. Ce qui me permet d’avoir cette liberté d’action avec les autres équipes, c’est que les équipes Produit sont aujourd’hui suffisamment autonome en Research pour que nous arrivions ensemble aujourd’hui à absorber tous les sujets de Research côté Produit. Tout est une question d’adaptation et de flexibilité : je vais me permettre sur certains projets d’intervenir plutôt en “coach” côté Produit pour fournir des conseils, et plus m’investir personnellement dans les sujets exploratoires menés par le Marketing. Il ne doit pas y avoir de territorialité de la Research : de toute façon, les insights récupérés côté Marketing vont être repartagés au Produit car ils sont directement impactés. C’est donc bénéfique pour tout le monde !
La clé, c’est de garder ses stakeholders impliqués.
Moi, ça ne me dérange pas d'être en charge des entretiens pour des équipes qui ne se sentent pas tout à fait à l'aise avec le fait de les réaliser, mais je demande systématiquement qu'il y ait au moins une personne de l'équipe avec moi, et je lui trouve un petit rôle comme prendre des notes par exemple.
Ensuite il faut s’assurer de l’impact et du rayonnement de nos projets. Cela ne veut pas dire faire purement et simplement grossir l’équipe Research. Certes, avec le scaling de la Research, il va forcément falloir embaucher des Researchers, mais la taille de l’équipe n’est pas le seul indicateur du scaling. Je trouve au contraire que ça favorise le côté “fonctionnement en agence interne” où nous devenons des machines à recevoir des briefs et délivrer des insights. Le risque de ce type fonctionnement c’est de perdre l’implication des stakeholders et donc in fine de freiner le scaling de la Research.
Quand j’ai commencé il y a 10 ans, faire de la Research c’était beaucoup plus pénible !
Tout était chronophage, nous n’avions pas du tout d’outils pour automatiser le recrutement ou l’analyse des données, ça n’existait pas.
Ensuite, la Research s’est développée en mode agence comme nous l’avons évoqué, pour répondre à des besoins ponctuels. Aujourd’hui, je vois autour de moi beaucoup plus de modèles “intégrés” même si nous n’avons pas encore un ratio du type “1 Researcher par Squad ou par Tribe”. La bonne surprise de l’évolution de la Research c’est vraiment l’aspect “formation des équipes” : je ne m’y attendais pas forcément et je trouve que c’est particulièrement épanouissant professionnellement, là où se spécialiser en pure Research sur un type d’étude par exemple peut être un peu réducteur à long terme.