Structurer la Recherche dans une entreprise en hypercroissance

Agathe Sowinski sait ce que c'est que de faire de la Recherche dans un environnement où les choses vont (très) vite.

Après plusieurs années en tant que consultante spécialisée dans les sujets Customer Experience, elle a rejoint Aircall en tant que CX & Insights Manager où elle est en charge des initiatives portant sur la centricité et la satisfaction client. Avec une croissance à deux chiffres depuis sa création en 2014, un statut de Centaure (plus de 100M$ d'ARR) atteint à l'Eté 2022 et des objectifs encore plus ambitieux, l'hypercroissance et ses enjeux sont son quotidien.

Pour nous, elle a pris le temps de revenir sur ses méthodes pour faire de la Recherche dans ce contexte particulier, l'organisation qu'elle a mis en place avec ses équipes, et ses principaux challenges à venir.

Tactix : Comment faites-vous de la Recherche chez Aircall ?

Agathe : Ce qui nous caractérise, c’est que nous profitons de chaque interaction client pour collecter des éléments de feedback. Par exemple, suite à n’importe quel échange avec le Support ou l’Onboarding, nos clients répondent à un petit questionnaire d’évaluation de l’UX, établi sur des critères génériques : la qualité de l’interaction, l’exhaustivité de la réponse, le timing…

Ensuite - et c’est selon moi la partie la plus intéressante - on leur demande de s’exprimer plus largement sur leur expérience via des questions ouvertes. C’est là que le feedback devient le plus riche : ils partagent librement ce qu’ils ont aimé, ce qui les a surpris, ce qui les a énervés…

Les indicateurs quantitatifs comme le NPS ont énormément de valeur pour nous, mais ils présentent parfois une vision partielle de la satisfaction client, d’une part car les utilisateurs ont tendance à “bâcler” l’exercice en cliquant aléatoirement sur les options de réponses et d’autre part parce qu’il ne leur permet pas de laisser une vraie opinion, détaillée et non-biaisée. Nos questions ouvertes nous permettent justement de compléter ce manquement avec du feedback vraiment qualitatif.

Notre rôle au sein de l’équipe Customer Experience & Insights est donc de centraliser, analyser et synthétiser tous ces retours, afin de les transmettre non seulement aux équipes concernées mais à toute l’entreprise de manière générale. Pour cela, nous avons mis en place un certain nombre d’initiatives, à la fois à l’échelle des équipes avec lesquelles nous travaillons de manière privilégiée mais également sur des formats plus ouverts afin que tous les salariés d’Aircall puissent en profiter.

Pour te donner un exemple, nous faisons une visio toutes les deux semaines avec un de nos plus gros clients, pour qu’il nous partage son retour d’expérience sur nos sujets du moment. On invite toute l’entreprise à assister au meeting car tout le monde est concerné, y compris - et surtout - le top management !

Tu mentionnes également une organisation spécifique aux équipes avec lesquelles tu travailles en direct.

Peux-tu nous en dire plus ?

Effectivement, il y a des équipes avec lesquelles je suis évidemment plus amenée à travailler. Pour ces équipes, j’ai mis en place une comitologie spécifique afin de m’intégrer à leur mode de travail. Sur ce point, mon expérience en gestion de projet issue de mes années de conseil m’aide beaucoup : je m’adapte à leurs objectifs business et façons de travailler. Par exemple, j’ai planifié avec l’équipe Produit d’Aircall des points trimestriels de revue de leurs priorités. Cela nous permet de voir ensemble leurs grandes échéances, la matière dont ils ont besoin, et le support que nous allons pouvoir leur fournir.

Mais mon rôle en tant que Customer Insights Manager ne concerne pas uniquement la mise en place de plans d’action, mais aussi l’accompagnement opérationnel des équipes. Je suis donc également amenée à intervenir de manière très ponctuelle pour répondre à des besoins urgents. Il y a quelques semaines nous avons lancé une nouvelle fonctionnalité, les permissions, très attendue par nos clients. L’équipe s’est directement tournée vers moi pour que nous voyons ensemble quels étaient les tests à mener en priorité, et comment procéder.

Cette organisation, je la réplique sur toutes les équipes avec lesquelles je travaille : le Marketing, le Produit, le Success et le Support. Je sais que toutes les interactions que j’ai avec eux sont ma fenêtre de tir pour comprendre leurs besoins et expliquer comment la Recherche peut y répondre.

Je pense que c’est le lot des jobs “transverses” comme le nôtre : il faut savoir s’organiser et faire le nécessaire pour que les gens comprennent qu’ils vont y gagner en travaillant avec toi.

Licorne en 2021, Centaure en 2022… Aircall est une boîte où les choses avancent très vite !

Est-ce que cela a impacté la façon dont tu travailles ?

L’hypercroissance a ses avantages et ses inconvénients.

Notre rapide développement est une magnifique réussite, mais le fait d’aller très vite sur tout nous a contraints à mettre un peu trop longtemps de côté des sujets importants comme par exemple la connaissance détaillée de nos profils clients / user persona (NDLR : voir notre template).

À la réflexion, je pense que c’est un des enjeux communs des entreprises en hypercroissance : passer d’un modèle que je qualifierais de “réactif”, où on est sans cesse en train de courir après la roadmap, à un modèle d’”anticipation”, où on prend le temps de poser des bases saines.

Le problème, c’est que pour cela il faut une équipe CX & Research dédiée, qu’on laisse “tranquille” pour qu’elle puisse travailler sur ces sujets stratégiques. Et c’est là qu’apparaît selon moi une seconde difficulté : contrairement à des entreprises plus établies où les rôles sont clairement définis, on est souvent amenés à intervenir sur différents sujets, qui ne touchent pas forcément à l’expérience client. C’est un peu l’esprit start-up qui perdure ! Cela signifie que s’il y a une urgence ou un problème de bande passante, on peut être potentiellement mobilisés. Cette dispersion floute les domaines d’expertise, et parfois les équipes se marchent dessus et perdent du “buy-in”. C’est une somme de petites choses, mais je pense que cette accumulation fait que nous ne sommes qu’à 10% de notre potentiel selon moi.

Cela laisse une importante marge de progression !

Où se situe le potentiel restant ?

J’ai l’habitude de dire que ce que l’on n’anticipe pas aujourd’hui en termes de besoins client on le paiera, d’une façon ou d’une autre, dans 6 mois.

Capter du feedback client nous permet d’améliorer en continu nos produits et services, mais c’est notre rôle en tant que Researchers d’aller plus loin que ces retours ponctuels : comprendre des besoins et leur évolution, en déduire une vision pour le produit… Aujourd’hui, nous sommes une solution de téléphonie, mais rien qu’en analysant les retours de nos clients on peut observer un certain nombre de signaux faibles qui nous montrent qu’on a encore mille choses à faire : du chat live, de la vidéo, … C’est typiquement ce que nous cherchons à étudier en ce moment : quels sont les produits complémentaires à notre offre actuelle pour satisfaire les besoins évolutifs de nos clients ?

J’estime que nous aurons franchi un cap en tant qu’organisation le jour où la Recherche sera complète : en amont et en bout de chaîne, à chaque interaction client,… la volonté d’améliorer la Customer Experience doit transpirer partout et tout le temps !

Comment aller chercher ce potentiel ?

La première chose, c’est d’accepter et de comprendre que la Research en tant que telle n’est pas la priorité de tout le monde. Et ce n’est pas grave ! C’est à nous en tant que Researchers de la présenter comme un moyen d’atteindre les objectifs spécifiques des équipes, et non comme une fin en soi.

Dans notre cas, comme beaucoup d’entreprises dont l’objectif à court terme est la rentabilité, nous sommes très drivés par les Sales. La question à se poser est donc : “Comment la Research va-t-elle nous permettre de générer davantage de ventes ? de créer du MRR ?”, et présenter les initiatives de Recherche via ce prisme.

Ensuite, je pense qu’il faut que nous soyons plus proactifs dans notre démarche en tant que Researchers. Trop souvent, les équipes n’ont pas entièrement conscience de la valeur que nous pouvons leur apporter. Si nous restons dans ce statu quo, nous serons toujours cantonnés uniquement aux problématiques pour lesquelles nous sommes connus. Je pense que c’est à nous d’aller vers eux et pas à eux de venir nous chercher. Pour cela il faut leur faciliter la tâche : leur montrer les opportunités à côté desquelles ils passent, les accompagner dans l’organisation et le déroulé de leurs projets, parler leur langage, …

Pour te donner un exemple concret, parler de Research pure avec des Sales ou le Customer Success n’a pas de sens, en revanche leur expliquer comment la Research va nous permettre de réduire notre churn, là oui !

Enfin je dirais que cette vision customer-centric doit être portée par le leadership. Nous avons la chance d’avoir un board qui a pleinement conscience de ces enjeux et qui supporte nos initiatives, ça aide beaucoup !

Découvrir Tactix

Obtenez des enseignements du terrain et informez les décisions de votre entreprise.